Catégories
Reportage

Les territoires français s’affichent fièrement sur les tee-shirts, une vraie tendance de mode

Correspondance, Nicolas MONTARD

LH au Havre, Calaisfornia à Calais, I love Perche dans le Perche, Quai 06 à Antibes, Phare Ouest 17 en Charente-Maritime, MosL en Moselle, Rouen Point… L’appartenance géographique territoriale s’affiche désormais fièrement sur les tee-shirts et autres vêtements. Un phénomène de mode, même s’il cache des réalités différentes. 

Pas grand monde, ce jeudi midi à Calaisfornia, rue Royale, à Calais (Pas-de-Calais)… Il faut dire que la pluie de novembre tombe dru. Pas de quoi inquiéter Romain Careje et Rodolphe Leprince, les deux responsables de la boutique : dans quelques jours, la période des achats Noël va commencer. Et les produits Calaisfornia, des tee-shirts aux casquettes en passant par les bonnets, voire quelques accessoires comme des décapsuleurs, vont s’arracher.

Une petite surprise pour le duo qui s’est lancé il y a quelques années… sans vraiment l’avoir programmé. « En 2018, nous sommes des copains qui s’amusent à faire quelques tee-shirts estampillés avec le jeu de mots « Calaisfornia », rembobine Romain Careje, qui travaillait dans l’événementiel. Puis des amis d’amis nous en demandent, on en vend quelques-uns sur les réseaux sociaux, l’office de tourisme en veut, ils sont dévalisés ! Alors, nous nous décidons à ouvrir une boutique… »

Depuis, c’est le carton plein : ils déclinent différentes collections, un point de vente est désormais installé sur le front de mer en été, les deux acolytes devraient même racheter dans les prochains mois le café voisin… pour l’estampiller aux couleurs de Calaisfornia !

Un attrait pour le local

L’histoire des deux Calaisiens témoigne d’un mouvement qui, s’il n’est pas tout à fait nouveau, se développe ces dernières années. Les marques de vêtements qui affichent clairement et fièrement leur identité territoriale. On connaissait 64 dans les Pyrénées-Atlantiques depuis un quart de siècle, LH au Havre depuis treize ans, désormais il faut compter sur I love Perche dans le Perche, Quai 06 à Antibes, Phare Ouest 17 en Charente-Maritime, MosL en Moselle, Rouen Point… à Rouen, liste non exhaustive. Même des villes plus modestes y cèdent, ainsi 800, la marque de Wissant, petite station balnéaire branchée à quelques kilomètres de Calais.

Pourquoi un tel engouement ?

« Le local est devenu plus important aux yeux des habitants », explicite Lydiane Le Roy qui commercialise une gamme autour de l’amour du Perche, à Mortagne-au- Perche (Orne) en Normandie. Nos interlocuteurs pour cet article mettent en avant l’élan vers la consommation locale, accentuée avec le Covid, l’envie d’afficher plus son territoire ou le territoire que l’on aime, etc.

Derrière la multiplicité des marques, les histoires ne sont pas toujours les mêmes. Parfois, c’est un lancement quasiment sur un coup de tête. Lydiane Le Roy venait de racheter une entreprise de publicité avec une partie de personnalisation textile quand le Covid et le premier confinement lui sont tombés sur la tête. « C’est mon mari qui a eu l’idée. Et dès que nous avons lancé les vêtements I Love Perche, l’engouement a été immédiat. » « J’aime le Perche », « Percheron et fier de l’être »…

Le Perche a aussi sa marque.

L’idée est plus ancienne chez Olivier Coste et Sylvain Jean, deux amis de Montpellier qui avaient eu le déclic lors d’un voyage en Irlande en… 2004, un pays où la fierté territoriale s’affiche sans gêne sur les vêtements. « Nous n’avons pas eu le temps de nous y pencher, avec nos travaux respectifs durant des années, confie le premier, manipulateur radio à l’hôpital. En 2019, nous avons décidé de franchir le pas. » Le lancement de Republik Of Montpellier a eu lieu en 2020.

Des envies différentes pour durer

Si tous utilisent avec plus ou moins d’humour et de talent la déclinaison de leur identité territoriale, tous n’ont pas forcément les mêmes envies et ambitions. Calaisfornia était un projet d’amis qui, à les entendre n’auraient jamais envisagé d’aller si loin. I Love Perche est, de l’avis de sa fondatrice, une vitrine qui lui permet de vendre sa personnalisation textile aux artisans : « Je n’ai pas l’intention de devenir une entreprise de mode. »

Dans l’Hérault, les fondateurs de Republik Of Montpellier, eux, voient déjà plus loin avec leurs collections, dont l’une détourne les Beatles ou Dali devant des monuments emblématiques de Montpellier : « Nous avons un business plan. Rester juste à Montpellier, je pense, nous lassera. Nous souhaitons dupliquer d’autres « Republik Of » sur d’autres territoires. » Toulouse, Marseille, Strasbourg… rien ne les laisse indifférents. Sur les tee-shirts Republik Of Montpellier, quelques icônes artistiques sont détournées devant des lieux emblématiques de la cité.

Reste à savoir durer.

Une marque peut en témoigner. 64 a été créée par des amis pour se reconnaître lors des fêtes de Bayonne dans les années 1990. Vingt-cinq ans que ça dure… la marque se vend désormais dans une dizaine de boutiques consacrées dans le département des Pyrénées- Atlantiques ou juste à côté (Hossegor dans les Landes, Arcachon en Gironde). « Nous étions précurseurs dans ce domaine, ce n’était pas vraiment à la mode à cette époque, reconnaît Louis Lacube, directeur général de cette PME de 47 personnes aux 6 millions de chiffre d’affaires. Mais pour durer 25 ans, il a fallu se réinventer. » Les designs ont été retravaillés, les logos rendus moins visibles, parfois les deux chiffres iconiques remplacés par des lettres. « Nous proposons des produits plus passe-partout, plus habillés, avec de nouvelles matières, de nouvelles coupes. Deux qualités me paraissent nécessaires dans le domaine de ces marques en lien avec le territoire : avoir une histoire à raconter et respecter une qualité de fabrication. Si ce n’est pas le cas, en plus de votre image, vous desservez celle de la région. »

Le paradoxe de la fabrication

Ces marques « territoriales » doivent aussi affronter un paradoxe. Conjuguer localisme avec une production le plus souvent loin de nos contrées, notamment en Asie pour la base textile Calaisfornia, Republik Of Montpellier ou I Love Perche. S’ils insistent sur leur utilisation de filières responsables, voire bio, et faire appel pour la sérigraphie, la broderie et le reste à des entreprises françaises, le passage serait quasi obligé pour proposer un tee-shirt à un prix « acceptable » pour le grand public (environ 25 €). « J’ai cherché longtemps un fournisseur français, reprend Lydiane Le Roy à Mortagne-au-Perche. On m’a répondu à plusieurs reprises que c’était impossible de lancer une production avec notre marque car nous produisions trop peu. Je viens de trouver enfin un fournisseur. En revanche, le sweat-shirt sera vendu entre 70 et 80 € au lieu d’une cinquantaine d’euros. Ce sera une proposition supplémentaire, nous verrons si les clients suivront sur ce tarif. » Car si toutes les marques contactées assurent réfléchir à une solution 100 % française, c’est bien le client et son portefeuille qui trancheront.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *